EmMANUEL MACRON, stratege ?

Ecrit le 18 juin 2024 par Julien Le Sciellour

Une du Time du 20 novembre 2017

Les élections européennes de 2024 ont acté une réalité que beaucoup pressentaient déjà : la France se droitise, la personnalité du Président de la République, Emmanuel Macron, est rejetée, la gauche est toujours incapable de se réunir concrètement et sereinement sur un programme commun accepté par tous sans accroc. Le résultat important de l’extrême-droite (40%) à cette élection était prévisible (et un examen de conscience de l’ensemble des forces politiques devient d’une impérieuse nécessité), la réponse du Président de dissoudre l’Assemblée nationale, en revanche, est plus surprenante (mais pourrait logiquement s’expliquer si l’on accepte de mettre de côté l’idée d’un narcissisme intrinsèque à Emmanuel Macron).  

La dissolution surprise annoncée par le Président le 9 juin 2024 au soir, soit le même jour que les résultats des élections européennes, offre la possibilité à l’extrême-droite d’accéder au pouvoir au travers d’une majorité de députés et ainsi de choisir le prochain Premier Ministre pour la France. Dans l’histoire de la France, cet acte vient de créer un précédent où l’on peut craindre que des futures élections européennes, où le pouvoir en place sera mis en difficulté, les oppositions demandent alors un retour aux urnes.

Sans justifier nullement cette stratégie que les commentateurs médiatiques et politiques qualifient de « hasardeuse » ou de « folle », ce choix du Président peut s’expliquer si l’on prend l’histoire politique de ces dernières années dans son ensemble et si l’on y ajoute une pincée de cynisme. 

Acter l’impasse politique initiée en 2022

L’année 2022 fut déjà peu commune dans l’histoire de notre pays. Les élections législatives s’y tenant n’ont donné au Président de la République qu’une majorité relative (245 sièges sur les 289 nécessaires pour obtenir la majorité absolue), le Président doit donc composer avec les partis d’oppositions à l’Assemblée nationale s’il souhaite nommer un Premier Ministre et que des lois soient votées. 

De ce fait, la nouvelle Assemblée nationale se rapproche du fonctionnement des autres pays européens où règnent un régime de coalition fait d’ententes et de compromis politiques. Mais notre pays ne ressemblant à aucun autre (nous méritons bien notre surnom de « peuple ingouvernable » à cet égard) la majorité créée n’a que rarement fait l’unanimité, a souvent été mise en défaut par les partis d’oppositions avec une volonté affichée : se refuser à travailler avec le parti du Président prétextant subir une probable punition électorale s’ils en viennent à s’acoquiner avec. 

En se présentant comme l’alternative absolue à Emmanuel Macron, la gauche s’est souvent refusée à travailler avec le parti présidentiel qui n’a eu d’autre choix que de se tourner vers le parti Les Républicains, rapidement apparu comme pivot au sein de ce parlement. On peut penser que cet acte est purement stratégique là-aussi. En se refusant à une coalition d’envergure, en mettant sur le même pied d’égalité le Président et l’extrême-droite, la gauche a tenté de se poser en alternative face « à la menace fasciste et à la politique ultralibérale »

Maître des horloges

Le choix de la dissolution est ensuite motivé afin d’éviter d’être piégé par sa propre parole. Le Président a tout d’abord menacé les partis politiques d’une dissolution de l’Assemblée nationale en vertu de l’article 12 de la Constitution dans le cas où une motion de censure venait à être votée. Au regard des résultats des élections européennes et de l’impasse dans laquelle le parti Les Républicains se trouve, il n’est pas inconcevable de penser que ces derniers auraient tôt ou tard fini par voter une motion de censure lors du prochain Projet de Loi de Finances pour l’année 2025. Emmanuel Macron n’aurait eu d’autre choix que d’assumer ses paroles à un moment qu’il aurait considéré comme inopportun tout en étant mis en défaut par la même occasion. Par cette dissolution, il entend reprendre en main le rythme de la vie politique et imposer son agenda aux autres.

Mettre les oppositions devant leurs responsabilités : la « grande clarification »

Rarement le mot responsabilité n’a été aussi à propos en politique. La volonté affichée du Président est de procéder à une « clarification » (selon ses mots) des partis politiques dans leur positionnement. 

Voilà près de 2 ans que les oppositions, par souci de démonstration de force ou par volonté de blocage, ont successivement déposé motion de censure sur motion de censure (plus d’une vingtaine entre 2022 et 2024, un record absolu sous la V ème République – Source : Libération). Elles ont toutes été rejetées, parfois à quelques voix près : il ne manquait que 9 voix pour que la motion de censure du 20 mars 2023 soit acceptée par l’Assemblée nationale.

Ainsi, en procédant à la dissolution, Emmanuel Macron souhaite mettre les oppositions devant leurs responsabilités qu’elles ont eux-mêmes appelées de leurs vœux. En réalité, lorsque l’on perçoit la fébrilité des partis politiques dans cette campagne, il n’est pas certain qu’ils souhaitaient réellement cette dissolution. 

L’alliance de la gauche a été constituée à la va-vite (à ce jeu, le découpage des circonscriptions s’effectue là encore au détriment du Parti Socialiste, qui, malgré son excellent score aux élections européennes reçoit moins de circonscriptions que La France Insoumise qui a obtenu un score inférieur de 5 points – Source : Le Parisien).  Cette alliance agrège des gauches radicalement différentes qui n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la question du Hamas ou de l’Ukraine à titre d’exemple et dont on sait après coup que les investitures ont subi une grande purge – Source : Les Echos. Les opposants internes à Jean-Luc Mélenchon ont été évincés, un militant fiché S est candidat (une personne fichée S est une personne que l’on soupçonne de visées terroristes ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat) l’ancien Président de la République, François Hollande, se présente lui aussi comme candidat.

Du côté de l’extrême-droite, le Rassemblement national vient de faire marche arrière sur plusieurs propositions notamment la réforme des retraites (qu’ils n’abrogeront plus – Source : Le Monde), sur la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité renvoyée à « un second temps » (Source : La Tribune) ou encore de Marine Le Pen qui finalement n’appelle plus à la démission d’Emmanuel Macron (Source : FranceInfo) alors qu’elle le souhaitait à demi-mot il y a quelques jours (Source : Le Monde). Par ailleurs, le parti Reconquête d’Eric Zemmour se désagrège. Souhaitant une coalition des droites avec le Rassemblement National, ces derniers ont refusé et les responsables Reconquête ont été évincés du parti à une vitesse record. Par souci de paraître modérée, la préférence du Rassemblement National s’est portée vers un autre parti politique : Les Républicains, sachant aussi que les voix des électeurs Reconquête se porteront de toute manière pour Jordan Bardella au second tour.

Quasiment certain d’un score très faible aux élections législative, le parti des Républicains a dû choisir un camp. Le président du parti, Eric Ciotti a décidé de faire alliance avec le Rassemblement national sans l’aval de son groupe politique. En réponse, des responsables du parti ont eux aussi décidé de l’exclure. Exclusion d’ailleurs invalidée par la justice. Les Républicains ont donc présenté des candidatures multiples, souvent au sein d’une même circonscription…avec d’un côté un mouvement « Les amis d’Eric Ciotti » qui est une sorte de double investiture LR-RN et d’un autre côté des investitures LR plus classiques.

Finalement, la plupart ont joué le jeu des motions de censure dont qu’ils espéraient peut-être secrètement qu’elles ne seraient pas acceptées.

Créer de la confusion dans la précipitation

Après la « clarification » et le souhait de reprendre l’agenda, le Président y ajoute de la confusion et de la précipitation. Le temps très court accordé avant le dépôt des listes (le 16 juin – soit 1 semaine après l’annonce de la dissolution) pour un premier tour au 30 juin laisse très exactement 21 jours pour se préparer. Ce temps très (trop ?) court force les partis à agir dans la précipitation. Eux qui s’estimaient capable de gouverner et de s’entendre semblent finalement pris au dépourvu. On se rappellera des affiches électorales pour les élections législatives de 2022 présentant « Mélenchon Premier Ministre » ou encore les récents propos de Jordan Bardella se disant prêt à l’être (Source : RTL). Ainsi, la « clarification » s’effectue au forceps dans une sorte de confusion générale.

Les deux partis prétendant au pouvoir (l’alliance de la gauche et le Rassemblement National) n’ont pas le choix, elles se doivent de gagner (ou au moins de montrer le vouloir) pour être conformes à l’ambition qu’elles ont fait naître chez leurs électeurs, alors même qu’elles n’en ont peut-être pas l’intérêt aujourd’hui. 

Montrer une faiblesse face à cette opportunité offerte serait perdre en crédibilité après avoir martelé qu’elles sont capables de gouverner. De l’autre côté, non-préparés, inexpérimentés, le risque pour ces partis d’échouer ces trois prochaines années est grand : programme économique résolument irréaliste et non sérieusement chiffré (le FMI a de grande chance de frapper à notre porte. A cet égard, les taux d’intérêts ont déjà commencé à augmenter faisant porter sur nos finances publiques une charge accrue de dépenses), un programme social désastreux (la victoire de l’un des deux camps raviverait les flammes d’un communautarisme déjà crépitant et les manifestations qui s’en suivront ont de grandes chances de terminer dans le sang), des propositions de chacune mettant constamment en cause les traités européens (sur la TVA, les traités de libre-échange ou sur le respect des libertés fondamentales). A cela s’ajoute la question de l’Ukraine dont aucun parti n’a su se positionner sans ambiguïté, les Jeux Olympiques arrivant et de façon plus lointaine la formation des coalitions et la nomination de postes importants au sein du Parlement européen puisque rappelons le…les élections européennes viennent seulement de se terminer.

Mais en même temps, se désengager de cette campagne serait faire gagner le parti de la majorité présidentielle donnant l’argument à Emmanuel Macron d’un plébiscite dont il pourrait ressortir vainqueur sur le moment.

En tout état de cause, le choix auquel souhaite nous restreindre le Président est le suivant : Nous ou le chaos.

 

Le pari d’Emmanuel Macron est peut-être le suivant : son souhait de montrer aux citoyens français l’incompétence de ces oppositions un fois au pouvoir, mettant à mal la maxime « on a tout essayé sauf eux ».

Plutôt que de voter pour un Président et une Assemblée nationale en même temps en 2027, le choix s’est porté de restreindre cette possibilité à la seule députation.

La stratégie du pire : faire gagner un extrême maintenant pour l’appauvrir demain. Mais cette dernière possibilité est très théorique tant l’Histoire prouve le contraire. Cette stratégie avancée tient aussi sur la possibilité de former un gouvernement d’extrême-droite ou radicalement à gauche – ce qui n’est pas certain – dans le cas contraire peu d’option s’offrent à la France : enchainer les motions de censure pour abattre un Premier Ministre mal aimé ou bien une démission d’Emmanuel Macron.

Ce 9 juin 2024, le Président de la République vient peut-être de sceller le sort de la France pour les quelques dizaines prochaines années.

Une saga politique où chaque jour offre son lot d’incongruités, de cynisme et d’ego. Tout cela serait amusant si c’était sans conséquence.