Faux procès en illégitimité et vrai risque démocratique

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La question de la légitimité est aujourd’hui au coeur du questionnement politique. Cependant, qui, parmi les élus, possède la légitimité qu’ils revendiquent comme sienne quand ils la dénient aux autres ? Par une analyse détaillée et des tableaux, je vous propose de percevoir les limites de ce types d’arguments.

Débutons par les deux « mesures » mathématiques de la légitimité démocratique. A titre d’exemple, le Président de la République a été élu au Second tour de l’élection présidentielle avec 58,55 % des suffrages exprimés (correspondant aux électeurs qui se sont déplacés) soit 38,5 % des inscrits (correspondant à l’ensemble du corps électoral).  La différence est importante car elle est le coeur même de l’argumentaire. Le Président de la République a donc été le choix de « seulement » 1/3 de l’ensemble du corps électoral, alors que ce score était de 43,6 % des inscrits en 2017. De fait, ne représentant pas la majorité des votants ET choisi non par approbation de son programme/personnalité mais en rejet de Marine Le Pen, il serait illégitime à mener les réformes qu’il a promises.

Vérifions maintenant avec les principales personnalités politiques :

Commentaires généraux à partir du tableau ci-dessous (tiré du jeu de données recensant les résultats des élections législatives) :

  • En moyenne, les formations politiques recensant le plus grand nombre de députés (LR, Ensemble, NUPES et RN) dépassent rarement les 25% d’inscrits, sauf LR avec plus de 26%. De son côté, le RN semble être le parti qui a engrangé le moins d’inscrits en moyenne avec 22,6%, mais la dispersion entre les députés élus avec le moins d’inscrits et ceux élus avec le plus d’inscrits est plus resserré ;
  • Ainsi, le député RN « le moins bien élu » a été choisi par 16,6% des inscrits, là où les députés les moins biens élus de la NUPES et de Ensemble ont été le choix de moins de 10% des inscrits (ceci est possible du fait d’une abstention très forte dans ces territoires) ;
  • De la même manière, le député RN le « mieux élu » reste moins bien élu que la moyenne des députés LR, élus (26% contre 26,3%) ;
  • Il est intéressant de noter une dispersion particulièrement importante des voix pour les députés Ensemble s’échelonnant de 8,9% à 36,3% des inscrits, là où l’on peut constater une dispersion beaucoup plus restreinte pour les LR. Le signe peut-être que ce « vieux » parti a su composer un socle dur d’électeurs, là où la liste Renaissance a pour défi d’offrir à ses électeurs autre chose qu’un vote d’approbation pour « Macron ».
*La liste Ensemble à l’Assemblée nationale regroupe les partis Renaissance (ex En-Marche), MoDem (Mouvement Démocrate) et Horizons. La liste NUPES regroupe les partis La France Insoumise (LFI), le Parti Socialiste (PS), le Parti Communiste Français (PCF) et Europe Ecologie Les Verts (EELV).

Commentaires à partir du tableau des personnalités ci-dessous :

  • Les principaux députés les plus médiatiques peinent à dépasser les 30 % des inscrits sauf exceptions de Yaël BRAUN-PIVET (Présidente de l’Assemblée nationale), d’Aurore BERGE (Présidente du groupe Renaissance) et d’Aurélien PRADIE (LR) alors que les principaux députés du groupe La France Insoumise (LFI) sont particulièrement mal élus (selon leur propre conception de la légitimité d’une élection) puisqu’ils ont été choisis par en moyenne 23,89% des inscrits. Deux élus d’envergure ont un score inférieur à 20% des inscrits : Clémentine AUTAIN et Gérald DARMANIN ;
  • Au total, 37 députés (sur les 577) ont un score supérieur à 30% des inscrits. Seuls 2 députés NUPES sont dans le lot (dont Julien BAYOUX) pour 19 députés Renaissance (dont plusieurs Ministres : Gabriel ATTAL, Jean-Noël BARROT, Olivia GREGOIRE). Là encore, l’argumentaire de l’illégitimité des Parlementaires de la majorité présidentielle est bancal, puisqu’à ce titre, les députés NUPES sont eux-mêmes moins bien élus encore.
Mention spéciale à Clémentine AUTAIN qui est élue avec 100 % des voix au 2nd tour.
 
Un plébiscite d’électeurs heureux de l’action de leur députée ? En réalité, nous sommes plus près d’un désintéressement complet pour la politique locale. La Seine-Saint-Denis étant un département où la population vote peu (77% de taux d’abstention contre 53% au niveau national), la concurrente de Madame Clémentine AUTAIN (Madame Virginie DE CARVALHO, Divers Gauche) a décidé de retirer sa candidature au second tour. Laissant Madame AUTAIN seule en lice.
 
Pourtant, ce plébiscite se révèle être factice puisqu’au final, Madame Clémentine AUTAIN a été élue avec l’un des pires scores de la 16ème législature, soit avec 17,81% des inscrits. Seuls 25 députés font pires. Finalement, derrière le ton accusateur, sa cache une réalité peu enviable.
Evidemment, le procès en illégitimité de la NUPES est assez faux et dangereux, d’abord car selon leur propre conception de la « légitimité démocratique », un grand nombre de leurs propres députés ne devraient eux-mêmes pas siéger, ensuite car ce procès est une attaque directe contre les institutions et la confiance que crée l’élection dans la population.
 
Pour autant, le problème soulevé mérite de s’y attarder. Il dévoile un questionnement (légitime pour le coup) sur la représentativité de nos élus, sur les attentes des citoyens, sur notre ambition commune de constituer un véritable corps électoral qui s’attache à défendre sa propre vision de la société. Etre élu avec des scores si faibles doit questionner sur le peu d’engouement électoral.  Le sentiment de la population est bien documenté : un sentiment de déclassement total des politiques vis-à-vis des citoyens, ces mêmes citoyens qui se sentent mis au banc de la représentation démocratique, le sentiment que « tout est déjà joué ».
 
Que faire pour que les Français, pourtant réputés aimer le débat et la politique, s’engagent durablement dans le processus électoral ?

  1. Instaurer un véritable débat, d’abord au sein de l’Assemblée nationale afin que les discussions puissent arriver à leur terme. Le spectacle de l’obstruction, s’y elle est une stratégie politique autorisée, ne rend pas honneur aux débats parlementaires. Ensuite auprès des instances représentatives : syndicats, associations, entreprises ect… afin de réellement écouter leurs doléances.

  2. Une réforme des institutions visant à promouvoir une meilleure représentativité des citoyens via l’instauration d’une dose de proportionnelle. Les citoyens demandent une modification du rôle du Parlement avec un renforcement de ses prérogatives, une meilleure représentativité, quitte à octroyer plus de place aux partis les plus extrêmes. Une bonne représentation ne peut pas passer par une censure d’une partie de notre population. Nous ne pouvons pas être demandeurs d’une meilleure représentativité des citoyens et en même temps en censurer une partie sous prétexte qu’ils ne correspondent pas à nos idéaux.

  3. S’engager durablement dans la social-démocratie. La division des forces politiques montre aussi que notre pays, finalement, est peut-être demandeur d’une politique fondée sur le compromis et les votes croisés. La question est de savoir si derrière cette volonté, il y aura une acceptation de cette nouvelle réalité. Dans un pays qui considère que négocier, c’est reculer (surtout lorsque l’on parle d’un gouvernement), il est probable que nous ne soyons que demandeurs de changement, mais pas prêt d’en assumer les conséquences politiques. Il faudra composer avec le RN et/ou LFI, car derrière eux, ce sont surtout des millions de Français. Pourrait-on accuser ces derniers se s’être « trompés », que le fond du problème ne change pas, l’élection donne légitimité.

  4. Convaincre d’une plus grande démocratie participative. Là encore, tout n’est qu’ambiguïté. Les citoyens semblent demandeurs de démocratie participative (il n’y a qu’a constater les Conventions Citoyennes, les manifestations en faveur du Référendum d’Initiative Populaire – RIP – ou encore les nombreuses pétitions), pour autant, se déplaceront-ils lors de véritables élections sur des sujets clés ? Les 92 % d’abstention à la votation sur les trottinettes en libre-service à Paris est assez représentatif du manque d’engouement pour la chose publique. Si seulement les citoyens les plus au fait d’un sujet ou bien déjà convaincus se déplacent, le vote est faussé en plus d’être non-représentatif.
 
  1. Des efforts collectifs sont nécessaires : politiques, média, citoyens.

     

  2. Les politiques doivent faire preuve de plus d’honnêteté. Comment est-il acceptable que Olivier Faure (PS) vote contre la réforme des retraites souhaitée par Emmanuel Macron, alors que lui-même justifiait le 49-3 sous la présidence Hollande afin de voter….cette même réforme des retraites. Côté pile c’est justifiable, côté face c’est illégitime. La confiance et l’intégrité se cultivent dans le temps, elles s’entretiennent aussi.

     

  3. Mais pour ce faire, les citoyens doivent savoir être exigeants lorsque c’est nécessaire et posséder une mémoire des événements qu’ils sont pourtant si prompts à oublier lorsque le politique promet monts et merveilles. Le devoir citoyen est aujourd’hui relégué voire délégué aux politiques (voire aux personnalités médiatiques en général) dont nous attendons un vote, une explication, une pensée…

     

  4. La communication politique vient alors se substituer à l’engagement du citoyen dans ses devoirs les plus essentiels : la compréhension, la curiosité, l’intégration à la société afin d’être « éclairé » dans ses choix et d’en accepter toute la responsabilité.

     

  5. Enfin, les média dont le rôle essentiel de mise en valeur des évènements, de personnalités, de débats d’idée ont une immense capacité à influencer l’espace politique. La déontologie journalistique est aujourd’hui mise à mal, l’objectivité aussi. La difficulté enfin à parler aux jeunes laisse une place à des nouveaux média, dont certains sont moins regardants sur l’impartialité des faits.