OU PASSE NOTRE ARGENT ?

[Ecrit le 19mars 2023]

Le Rassemblement National vient de publier un tract visant à contester la politique du Gouvernement. Si les chiffres sont factuels bien qu’ambigus, ils doivent amener une réponse plus circonstanciée :

  1. Ce que dit le RN : 6 % d’inflation (Un record depuis 37 ans)
  1. En contexte : L’augmentation de l’inflation en France est due à un contexte international qui touche l’ensemble des pays du monde. A cet égard, la France semble plutôt préservée pour le moment.

Ainsi, d’après les données de l’OCDE, l’inflation en France est de 5,2 % en 2022 et devrait atteindre 5,7 % en 2023. Soit l’un des taux les plus faibles de l’Europe.

Il est difficile de prévoir l’évolution de l’inflation. Pour le moment, le phénomène est pris au sérieux et les banques centrales sont déterminées à lutter contre en remontant leurs taux directeurs.  Le Peterson Institute for International Economics (PIIE) a élaboré une synthèse des taux directeurs pratiqués par les Banques Centrale ci-dessous. Nous voyons ainsi qu’en 2022, la quasi-intégralité des banques mondiales ont passé leurs taux directeurs en territoire positif, alors qu’ils étaient négatifs il y a encore 2 ans :

Pour le cas de l’Euro, la banque centrale européenne a relevé depuis plusieurs fois ses taux directeurs afin de réduire l’inflation pour atteindre 3% le 16 mars 2023. Ainsi, la faute n’est pas tant du fait du Gouvernement que d’une situation mondiale difficile. Les effets des politiques économiques au niveau national peuvent s’avérer insuffisants pour endiguer l’inflation, l’intervention des banques centrales est nécessaire.

Le risque pourrait surtout provenir de l’inflation sous-jacente qui irait se propager et maintenir une inflation élevée. L’inflation n’est plus tirée par la hausse des prix de l’énergie – ce qui est une bonne nouvelle – mais par la hausse des prix de l’alimentation (+ 13 % à l’année) et des services. Ces composantes représentent environ 3,5 points des 6 points d’inflation. (source : graphique INSEE ci-dessous)

2. Ce que dit le RN : + 60 % de taxes sur les carburants (et 2 € le litre à la pompe)

2. En contexte : Le texte est très ambigüe, il laisse croire que les taxes ont augmenté de 60%, or c’est faux. On parle bien de la valeur absolue que représente les taxes par rapport au montant final.

En France, les taxes sur le carburant représentent environ 50 % du prix final payé par le consommateur, soit dans la moyenne européenne (50 % pour le Super-95 et 44 % pour le Diesel).  Diminuer la part de la fiscalité dans le prix du carburant aurait plusieurs effets non-voulus :

  • Les ménages aisés profiteraient eux-aussi de la baisse des prix des carburants alors que ceux visés sont les plus modestes. Cette raison explique le choix du Gouvernement de proposer un chèque carburant ciblé ;
  • Cela diminuerait d’autant le montant des recettes publiques, pourtant nécessaire aux politiques de redistribution (notamment les chèques énergie et carburant) ;
  • Diminuer le prix final à la pompe – aussi louable que ça soit – ferait augmenter la consommation de carburant et fragiliserait la transition écologique. 

3. Ce que dit le RN : + 1 milliard pour les soins des clandestins (AME : Aide médicale d’Etat)

3. En contexte : là encore, le texte est ambigüe, il laisse penser à une augmentation de 1 milliard du montant de l’AME. C’est faux.

L’Aide Médicale d’Etat permet l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière en France. Le montant voté au sein du Projet de loi de finances pour l’année 2022 s’élève à 1,079 milliard €, en augmentation de 2,1 % par rapport à 2021. (Programme 183 du PLF 2022). L’essentiel des financements du programme concerne l’AME dit « de droit commun » qui concerne les « la protection de la santé des personnes étrangères vivant en France depuis au moins trois mois consécutifs en situation irrégulière » (Rapport législatif du Sénat).

On peut se réjouir de cet impératif moral ou bien protester contre une politique migratoire que certains considèrent laxiste, mais cette politique a aussi une ambition sanitaire et vise ainsi à endiguer les risques « d’extension d’affections contagieuses non soignées au sein de la population ».

Le RN souhaite mettre en avant une supposée préférence du Gouvernement pour l’immigration et un abandon des Français. C’est là aussi faux. Les Gouvernements ont toujours été engagés dans la lutte contre la pauvreté. En 2018 est lancé le plan « Stratégie contre la pauvreté » doté de 8,5 milliards € dont les résultats sont encore trop imprécis pour être pleinement analysés (Rapport de France Stratégie).

4. Ce que dit le RN : + 7% de hausse de la taxe foncière (Record absolu !)

4. En contexte : Pour une fois, le symbole « + » est bien utilisé. Cependant, l’augmentation de la taxe foncière s’explique par un mécanisme automatique de revalorisation des valeurs cadastrales. Rien à voir avec l’action d’Emmanuel Macron donc.

 

La taxe foncière devrait augmenter de 7,1 % en 2023 du fait d’une revalorisation automatique liée à l’augmentation des prix à la consommation calculé par l’INSEE. Si c’est une mauvaise nouvelle pour le pouvoir d’achat des Français, cela reste une bonne nouvelle pour les collectivités qui la perçoivent, et qui la rendront à leurs administrés d’une façon ou d’une autre !

Par ailleurs, le RN semble oublier la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour l’ensemble des Français en 2023 (21,6 milliards €), qui sera compensée à l’euro près pour les collectivités.

5. Ce que dit le RN : +73% pour l’Union Européenne (hausse de la contribution française d’ici 2027)

5. En contexte : C’est particulièrement malhonnête. Ce chiffre semble provenir du Think Tank iFrap (dont les méthodes sont réputées sujettes à questionnement) et n’est qu’une estimation fondée sur une hypothèse peu rigoureuse.

 

Les ressources permettant de constituer le budget de l’Union Européenne sont nombreuses, mais les principales sont :

1. Les ressources propres dites « traditionnelles » composées notamment des droits de douane ;

2. Des prélèvements sur recettes en faveur de l’Union européenne qui correspondent à une fraction de la TVA ainsi que des recettes fiscales dont le montant dépend du poids de l’Etat dans l’économie européenne.

Le Cadre Financier Pluriannuel (CFP) pour 2021 – 2027  établi les dépenses de l’Union Européenne dans la limite des ressources propres (le budget ne peut pas être en déséquilibre). Sur les 1 200 milliards € (euros courants) de dépenses prévues, la contribution de la France est passée de 23,7 Milliards € pour 2020 (dernière année du précédent CFP) à 26,4 Milliards € en 2021 (première année du nouveau CFP).

Ainsi, le graphique ci-dessous issu du PLF 2023 nous indique l’évolution de la contribution française. Les données utilisées par le Think Tank iFrap sont dorénavant caduques puisque l’article date du 28 avril 2021. Par ailleurs, la contribution varie chaque année du fait d’incertitudes extérieures, et l’année 2017 (année utilisée comme référence dans le calcul) était marquée par une contribution de 2,3 milliards € inférieure aux prévisions. En choisissant un chiffre qui ne correspond pas au montant auquel on pouvait s’attendre, le Think Tank a volontairement sélectionné des chiffres qui ne permettent pas une comparaison honnête entre les montants votés et les prévisions.

En conclusion, la contribution française pour l’UE entre 2020 et 2021 a augmenté d’environ 30%. Cette augmentation est similaire a celle des autres pays européens et s’explique à la fois par le besoin de compenser le départ du Royaume-Uni et par les ambitions économiques de l’Europe. Pour être parfaitement rigoureux, il serait plus sage de comparer le montant moyen réalisé entre le CFP 2014 – 2020 (qui est de 20,111 Milliards €) et le montant prévisionnel du CFP 2021 – 2027 (qui s’élèverait à 29,600 Milliards € – Source : projet de loi N°3734). Soit une augmentation prévisionnelle de 47 % et non de 73%.

Enfin, la rigueur de l’analyse aurait voulu parler de la réforme actuellement en discussion entre les pays de l’Union européenne visant à introduire de nouvelles ressources propres afin de réduire la participation financière des Etats. Les pays européens ont bien conscience de l’augmentation de leur contribution et souhaitent pouvoir la modérer. Ainsi, la Députée européenne Valérie Hayer (Renaissance Ex En-Marche) a proposé dans une résolution adoptée le 22 Novembre 2022 la création de 3 nouvelles ressources propres afin de financer le budget de l’UE autrement que par les contributions nationales.

Ci-dessous les votes des députés européens de cette proposition. Les places en rouge (vote négatif) les plus à droite de l’hémicycle correspondent aux membres du parti Identité et Démocratie (ID) auquel appartiennent les députés du Rassemblement National. On peut donc voir que Jordan Bardella (Premier point rouge du premier cercle intérieur) a voter contre (lien afin de constater la répartition de la chambre). 

Il est ainsi dommage que le RN se contente de contester au niveau national l’augmentation de la contribution financière de la France envers l’Union Européenne alors que dans le même temps, son groupe au Parlement européen ne vote pas la création de nouvelles ressources propres !